La prière, pour quoi… ou pour qui ?
“Puisses-tu écouter Israël, garder et pratiquer, ce qui te rendra heureux” (Dt 6,3). La voix du Seigneur s’adresse à moi comme en une prière : “puisses-tu écouter… ce qui te rendra heureux”. Oui, Dieu, dans son infinie délicatesse, me veut heureux. Saurais-je lui faire confiance ?
Appelés à être amis de Dieu ?
Un jour, Jésus a dit “vous êtes mes amis” (Jn 15,15). Ai-je bien entendu ? S’adressait-il vraiment à moi ce jour-là ? Moi, pécheur, indigne et infidèle ? Moi qui ne sais aimer, ni prier ? Moi qui n’ai pas la force de demeurer une heure avec lui (Mt 26,40) ? Ami de Dieu, serait-ce pour moi ? Serait-ce le désir de mon cœur ?
Que nos vies consacrées soient pour tous un témoignage que l’amour de Dieu est une plénitude qui comble le cœur. Qu’elle donne à chacun le désir de rechercher l’amitié de Dieu dans sa propre vie !
Quelques textes pour vous aider à prier…
CAR TOUJOURS DURE LONGTEMPS (Père Jérôme, Possibilités et Mélodies)
« Il n’est pas difficile de dire ‘je t’aime’. La difficulté commence quand on dit :’pour toujours’, et surtout quand il s’agira de le réaliser. Car ‘toujours’ dure longtemps (…) pour aimer toujours un même objet, il faut une source au fond de l’âme. Il faut, à la fois, la force de se souvenir et la force de créer. Il faut inventer chaque jour ce qui doit durer toujours. Aimer peut être, parfois, une faiblesse ; mais durer dans l’amour ou l’amitié est toujours une générosité, une victoire. »
LE TICKET D’ENTRÉE (Père Jérôme, Possibilités et Mélodies)
D’autre part, nous savons que, dans tout appel à l’intimité avec Dieu, intervient la communion des saints, laquelle fonctionne en faveur du salut de tous les hommes. Toute âme religieuse en supporte sa part. De ce point de vue, il y a également des tickets à payer. Mais ceux-ci ne sont pas de la même couleur que le ticket dont je viens de parler. Il s’agissait de notre entrée personnelle dans la seconde vocation. Les tickets dont je parle maintenant concernent la vocation première et générale au salut éternel.
Sur le chemin du Paradis, nous sommes transportés par les cars du Bon Dieu, sinon personne n’arriverait jamais au bout. Il y a quelques cars pour les amis de Dieu, et une longue file de cars pour les autres. Ces derniers sont gratuits. Les cars des amis de Dieu sont payants, et ce billet-là coûte cher. Mais le plus fort, c’est que les amis de Dieu doivent payer dix et vingt fois leur place. A tout instant durant le voyage, le Maître passe de nouveau, pour leur demander de payer encore. Les amis finissent par comprendre qu’on les fait payer pour d’autres, pour ceux qui voyagent sans billet dans la longue file des cars gratuits. Et lorsqu’ils doivent verser le prix pour la vingtième fois, ils se plaignent bien un peu à leur Seigneur ; mais pas trop, parce qu’ils savent que ce ne sera pas encore la dernière fois. Ainsi l’exige notre fonction de suppléance.
« TOUT ACCEPTER, TOUT, POUR UN DEGRÉ D’INTIMITÉ EN PLUS ! » (Père Jérôme, Possibilités et Mélodies)
Alors que déjà, et bien timidement, je vous cherchais, mon Dieu, je savais que rien, jamais rien, ne pourrait vous forcer à m’appeler et à me choisir pour votre amitié. Aucun titre à être admis. Peut-être, seulement, une chance à espérer, venant de vous ; une chance infime, une chance sur mille ou sur dix mille. Autant dire gratuité absolue. Je devinais qu’il existe une certaine famille d’âmes, celle des amis de Dieu, je souffrais de n’en point faire partie, et ne savais comment la rejoindre. J’avais la nostalgie d’une vie et d’un milieu désirés dont j’étais absent. Je révérais et enviais ce que je ne connaissais pas. En tout ce qui concerne les biens offerts par la main de Dieu, oh ! combien il faut se garder de mépriser ce qu’on ne connaît pas encore !
J’imaginais comme un beau jardin dans lequel Dieu admet ses amis ; mais, isolant ce jardin, un long mur, devant lequel j’allais et venais sans fin, sachant bien que jamais, par la seule vertu de mon désir, je ne trouverais la porte de passage. Allant, venant, durant des délais qui ne cessaient de s’allonger, et pour ne pas me lasser de piétiner devant ce mur, je me répétais sans cesse : « Tout accepter, tout, pour un degré d’intimité en plus ! » Je disais et redisais aussi, sans fin, le texte que voici de sainte Thérèse d’Avila : « Que nous le voulions, que nous ne le voulions pas, nous marchons tous, quoique en différentes manières, vers la fontaine de vie. Mais il n’y a, croyez-m’en, qu’un chemin qui y conduise, c’est l’oraison. Quiconque vous en indique un autre, vous trompe ». Ce texte me semblait résumer, je ne sais trop comment d’ailleurs, le sens de mes recherches et de mon attente, et tout autant leur inefficacité complète. Sur mes lèvres, ce texte se transformait en supplication. Ainsi à tout instant, et surtout durant les heures de travail, durant trois années, davantage peut-être. Dans quel pré, dans quel champ du monastère n’ai-je pas semé ces prières, plus dru que les brins d’herbe ou les graines qui y poussaient ?
La parole de Dieu, semée ici ou là, produit cent pour un, ou soixante, ou trente pour un, ou rien du tout. Mais la parole de l’homme jetée vers Dieu, la prière, produit toujours cent pour un. Aussi, un jour, plus heureux que tout autre jour, je me suis trouvé avoir passé le mur ! Passage complètement inaperçu, mais c’est par la suite que mon âme a pu dire, avec une reconnaissance étonnée :
« Quoi qu’il m’arrive dans l’avenir, il demeure à jamais acquis que, au moins durant un certain temps, je vous ai aimé, mon Dieu, d’un amour qui ne venait pas de moi, mais de vous en moi. »
Manière peut-être maladroite d’exprimer un événement très réel. La gratuité demeurait totale ; si totale qu’elle me fait peur aujourd’hui encore. Il s’en est fallu de si peu : une bienveillance de la volonté d’un Autre, lequel n’avait rien de particulier à y gagner ! Comme l’entrée m’avait été ouverte sans raison, de même elle aurait pu m’être refusée sans raison. Savez-vous en quoi consiste la grâce, la gratuité ? Savez-vous ce que vous dites lorsque vous parlez de don gratuit, de privilège gratuit ? Vous n’en savez rien. Il n’y a qu’une gratuité, celle selon laquelle notre Dieu nous aime, nous appelle et nous conduit vers lui.
LA SAINTETÉ, UN VIDE À ACCEPTER (Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre)
Ne te préoccupe pas tant de la pureté de ton âme. Tourne ton regard vers Dieu. Admire-le. Réjouis-toi de ce qu’il est, lui, toute sainteté. Rends-lui grâce à cause de lui-même. C’est cela même, petit frère, avoir le cœur pur.
Et quand tu es ainsi tourné vers Dieu, ne fais surtout aucun retour sur toi-même. Ne te demande pas où tu en es avec Dieu. La tristesse de ne pas être parfait et de se découvrir pécheur est encore un sentiment humain, trop humain. Il faut élever ton regard plus haut, beaucoup plus haut. Il y a Dieu, l’immensité de Dieu et son inaltérable splendeur. Le cœur pur est celui qui ne cesse d’adorer le Seigneur vivant et vrai. Il prend un intérêt profond à la vie même de Dieu et il est capable, au milieu de toutes ses misères, de vibrer à l’éternelle innocence et à l’éternelle joie de Dieu. Un tel cœur est à la fois dépouillé et comblé. Il lui suffit que Dieu soit Dieu. En cela même, il trouve toute sa paix, tout son plaisir. Et Dieu lui-même est alors toute sa sainteté. (…)
La sainteté n’est pas un accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on accepte et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude.
L’AMITIÉ DIVINE (Robert Hugh Benson)
Éclairés par les mystères de la foi, voyant en Jésus Christ leur Dieu, leur Grand-Prêtre, leur Victime, leur Prophète et leur Roi, les catholiques plus que les autres sont portés à oublier que Celui qui règne sur les Séraphins fait ses délices d’être avec les enfants des hommes, et que, du trône de son Père où le retenait sa majesté, l’amour l’a fait descendre en pèlerin parmi ses serviteurs pour en faire ses amis. Souvent les âmes pieuses se plaignent de leur solitude sur la terre, elles prient, fréquentent les sacrements et font tout leur possible pour remplir leurs devoir chrétiens, et malgré tout elles se trouvent seules. C’est la preuve la plus évidente qu’elles n’ont point réussi à comprendre l’un au moins des principaux motifs de l’Incarnation. Elles adorent Jésus Christ comme leur Dieu, elles se nourrissent de lui dans la sainte communion, se purifient dans son précieux sang et aspirent au moment où il apparaîtra comme leur Juge. Mais elles n’ont point encore ou presque point goûté à cette connaissance intime, à ce commerce familier qui font l’Amitié divine. C’est la joie délirante d’être dans la familiarité de Jésus qui a produit les passionnés, et par conséquent les géants de l’histoire.