L’Adoration, une extase ?

Prier à l’adoration, c’est rencontrer l’amour infini de Dieu, le toucher, le goûter. Pas forcément de manière sensible, mais, au plus profond de nos cœurs, en faire l’expérience, l’expérience intime et secrète, comme Elie à l’Horeb dans la brise légère (1R19).
Un chemin pour cette rencontre consiste à entrer dans le Cœur de Jésus, dans son Sacré-Cœur. Le Sacré-Coeur, c’est le mystère du cœur ouvert de Jésus pour chacun de nous, son cœur ouvert sur la Croix dans son trop grand amour. Le Cœur de Jésus, comme ses bras, sont ouverts pour nous sur la Croix, nous y invitant et nous y attendant.

Entrer dans le Cœur de Jésus, c’est rencontrer l’amour, c’est se laisser aimer, et tomber amoureux de celui qui nous aime. Tomber à nouveau amoureux pour redécouvrir cet amour qui est posé sur nous de toute éternité. Mais oserons-nous tomber ? Oserons-nous tomber de nos échafaudages, en particulier ceux de nos fausses images, de nos peurs, de nos a priori sur Dieu ?
Si nous le désirons, prions le Seigneur de révéler en nous le Visage du Père, de nous révéler son vrai Visage.

Le silence de Dieu

Pourquoi avons-nous tant de fausses idées sur Dieu ? A nos yeux, Dieu est coupable, toujours coupable : trop présent ou trop absent, trop proche ou trop lointain. Nous le condamnons si souvent, sans procès. A chaque épreuve, nous crions vers lui : « pourquoi Dieu a-t-il permis cela ? »

Et Dieu prend sur lui nos cris, il ne s’en défend pas, il ne se justifie pas. Il a bien dit une fois : « Quel est celui qui déforme mes plans sans rien y connaître ? (Jb 42,3). Il l’a dit une fois, mais l’avons-nous entendu intervenir d’autres fois que celle-là ? Il l’a dit une fois pour toutes, pour que nous entendions, mais depuis il ne l’a pas redit. Depuis, il se tait quand nous l’accusons… comme devant Pilate.

« Il a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. » (Mt 8,17), et d’abord nos cris. Il les porte en lui, et, Dieu soit loué, les garde et ne nous les rend pas. Il garde en lui nos peurs, nos doutes, nos douleurs… Et comment dire : « heureusement »! Heureusement qu’il les garde. Nous avons besoin, toujours besoin de quelqu’un qui porte la douleur. Rien de pire qu’une douleur non portée, elle ne sait plus sur qui retomber et plus personne ne devient capable de la supporter. Il faut que quelqu’un la porte, la porte pour nous.

Pourtant Dieu est innocent, pur de tout mal, de toute douleur, de tout péché. Il n’a aucune connivence, rien à voir avec le mal, même avec le plus petit (mais existe-t-il vraiment « un petit mal »?). Il n’a tellement rien à voir avec le mal, que quand on l’accuse, il ne dénonce pas, il se tait, il prend sur lui, encore et toujours.

Qui est Dieu ?

Dieu ne serait-il donc pas tout puissant ? Pourquoi donc n’intervient-il pas ? Nous avons l’image d’un Dieu qui tient à sa gloire, à son honneur. Nous appelons souvent ce Dieu, le Dieu de l’AT et celui-là, nous ne l’aimons pas beaucoup. Nous préférons souvent penser que ce n’est pas « le Dieu de Jésus Christ ».

Mais l’Evangile nous révèle que cette volonté de « tenir » à ses droits ne caractérise plus désormais Jésus-Christ. Nous le voyons renoncer à sa gloire. Il est si divinement libre qu’il peut entrer dans l’obéissance d’esclave. Dieu n’est qu’amour, Dieu n’est que don.
Dieu n’est pas d’abord « puissance absolue », mais « amour » absolu. Sa souveraineté se manifeste dans le fait non de retenir ce qui lui est propre, mais dans le fait de le donner, de l’abandonner : son amour se déploie au-delà de nos catégories humaines de puissance et d’impuissance.

Dieu ne se désintéresse pas de Jésus abandonné sur la Croix, tout comme il ne se désintéresse pas de moi, mais il est désintéressé. Il est désintéressé pour moi, en ma faveur, il est tout don pour moi, quelque abandon que cela lui coûte, jusqu’à son propre Fils.

Dieu est juste

Ainsi, Dieu est innocent, il n’a rien à voir avec le mal. Bien plus, il ne peut voir ni regarder le mal. Dieu ne pourrait pas vraiment aimer le bien, s’il ne haïssait et ne rejetait le mal… C’est pourquoi Dieu ne remet pas le péché sans le sacrifice du Christ, sans la Croix. Une simple amnistie aurait signifié ignorer le mal : pourrions-nous accepter cette légèreté ? La souhaitons-nous vraiment ?

Devenir solidaire des pécheurs, c’est plus que mourir pour eux en les représentant d’une manière extérieure ; plus aussi que proclamer la parole de Dieu de telle sorte que cette proclamation conduise accidentellement, par l’opposition qu’elle suscite parmi les pécheurs, à une mort violente ; plus encore qu’assumer seulement leur commun et inévitable destin de mort ; plus enfin que simplement prendre sur soi de façon consciente la mort et faire de cette mort un acte d’obéissance, d’amour et de don de soi à Dieu. Tout cela est vrai, mais ce n’est pas tout, ce n’est pas le tout de l’amour de Dieu.

Au-delà de tout cela, l’acte de salut du Christ, la Croix consiste à assumer, d’une manière absolument unique, tout le péché du monde. L’acte de salut du Christ consiste à prendre sur lui, en lui, tout le péché et ainsi à le détruire. Jésus est descendu, avec notre péché, à la dernière des dernières places, et nul ne pourra jamais aller dorénavant plus bas que lui.

Un cœur ouvert

Sans quitter le sein de la Trinité, le Fils descend, s’étend ainsi jusqu’aux extrêmes frontières de la misère humaine. Il touche et fait rejoindre en lui le ciel et la terre, Dieu et les hommes. Il comble ainsi la distance qui sépare la créature de son créateur, il comble le vide causé par notre péché. Pourtant, mystérieusement, il le fait, non pas « en remplissant », mais en ouvrant : en ouvrant ses bras sur la Croix, en ouvrant son cœur transpercé.

Cette ouverture du Christ, identique à l’amour, n’est pas une chose « ajoutée » par la Passion, un « en plus » de sa mission, mais la manifestation de ce qu’est le Christ depuis toujours en Dieu et depuis le premier instant de sa conception : un être totalement ouvert dans les « deux directions », vers Dieu et vers les hommes.

Cette ouverture immense créée par l’amour nous enseigne à notre tour qu’on ne se sauve pas en se protégeant, en se fermant, mais en s’ouvrant, en ouvrant son propre cœur, à Dieu et aux hommes. Mystère d’accueil et d’amour, dans lequel toute souffrance n’est qu’une conséquence de l’amour.

« Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » (Mc 8, 35)

Ce Cœur interpelle notre cœur et nous invite à laisser derrière nous la vaine tentative de conservation de soi. Il nous appelle à aimer à notre tour, en nous donnant à lui et en trouvant en lui la plénitude de l’amour.

Désappropriation et sacrifice chrétien

Nous sommes ainsi appelés à une extension de notre être, à une ‘‘désappropriation’’ de nous-mêmes, à une ouverture de nous-mêmes à l’image du Christ en Croix. C’est la véritable extase : ec-stase, c’est-à-dire sortie hors de soi, mouvement qui nous attire bien au-delà de nos apparentes possibilités de développement ».

Il faut aller jusqu’à ce centre silencieux où l’on cesse de s’entendre, de s’écouter, de se voir, de se regarder, donner la transparence à Dieu pour que s’accomplisse réellement cette communion profonde où l’on est, à la fois, intérieur aux autres et profondément caché en Dieu.

Conclusion

Il s’agit donc de recevoir en moi celui qui s’est sacrifié pour moi, c’est-à-dire de lui accorder la place et le pouvoir de disposer de toute ma personne, et par là le suivre : le laisser agir. Et il ne pourra rencontrer en moi une disposition à le laisser agir que dans la mesure de ma propre disponibilité. Dieu n’est que don, il veut se donner à moi.
Une adoration n’est pas une prière à réussir, une conversion à réussir, encore moins une conversation. Elle est un accueil d’un don plénier qui est déjà fait, déjà offert, et qui n’attend que ma propre disponibilité. Serais-je là, présent, pour accueillir, être disponible à celui qui n’attend qu’une chose : se donner à moi

Sources : Foi chrétienne, Joseph Ratzinger ; Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé, Joseph Ratzinger ; Le mystère pascal, H. Urs von Balthasar